NOTES

 

Ce chapitre est ajouté très tard, dans le cours de la correction des épreuves, en réponse à deux objections-suggestions de l'éditeur Lacroix dans ses lettres des 2 et 3 février 1863: « Je lisais dernièrement les immenses épopées de l'Inde; Le Ramayana - Le Mahabaratha. Et j'en suis émerveillé. [...] Je crois, cher Maître, que de semblables poèmes ont droit à une mention dans la série des grandes oeuvres de l'esprit humain dont vous suivez la chaîne. [...] C'est sans doute parce qu'ils n'ont pas de nom propre d'auteur que vous n'avez pu [Hugo aurait préféré « voulu »] faire rentrer ces grands poèmes dans votre livre des génies. Mais... ». Puis, le lendemain, « Je plaidais la cause de l'Asie, en vous parlant du Ramayana. - Je plaiderai maintenant la cause de l'Allemagne. [...] Je vous ai déjà parlé de Goethe. J'y reviens. Beethoven ne peut être en cause puisqu'il ne rentre pas dans le cadre de votre oeuvre qui ne s'occupe que des génies littéraires. [...] J'indiquerais Goethe ou Schiller, comme personnifiant le mieux l'Allemagne. [...] Votre oeuvre y gagnerait un vaste public de plus. » Et, continuant de s'enferrer, Lacroix suggère de consacrer une mention à Camoëns, à l'Arioste, au Tasse, à Calderon, à Byron, à Milton, « à Vondel pour la Hollande », au Romancero, au roman de Renard et aux Niebelungen. (IN, p. 411-413) Hugo répond le 11 : « Je vous donne tort pour Goethe et raison pour l'Allemagne. Il faut la satisfaire.  » et il envoie ce chapitre trois jours après: « Voici, mon cher monsieur Lacroix, la satisfaction à l'Allemagne. [...] Vous avez très bien compris pourquoi je n'avais point classé les poèmes anonymes. D'ailleurs, le Romancero excepté, ils sont fort inférieurs aux oeuvres nommées. Je les ai tous. Il y a beaucoup de fatras. Je suis un latin, j'aime le soleil. »

On ignore si Lacroix fut satisfait de ce chapitre qui, sur tous les points, lui expliquait qu'il aurait mieux fait de se taire faute d'avoir compris ce qu'il avait lu. Car il peut y avoir des auditoires collectifs, mais il n'y a de génie qu'individuel; l'Allemagne, non pas malgré Goethe mais en partie à cause de lui, n'a pas encore accédé à la grande littérature; Beethoven l'incarne provisoirement mais dans une forme imparfaite, la musique, «vapeur de l'art», étant « à la poésie ce que la rêverie est à la pensée ».

Ce qui est sûr du moins, c'est que Hugo s'avance beaucoup, à propos des poèmes anonymes en écrivant Je les ai tous, même s'il s'abstient d'ajouter lus. Hugo connaît le Romancero publié par son frère Abel en 1821; mais les Niebelungen, traduits par Moreau de la Meltière en 1839 et par E. de Laveleye en 1861, et le Heldenbuch sont absents de la bibliothèque de Hauteville House, les Eddas scandinaves aussi; les Vedas, Râmâyana et Mahâbhârata n'y figurent qu'à travers le livre de Guillaume Pauthier, Les Livres sacrés de l'Orient, Firmin-Didot, 1841.

Tout ce fatras, sur lequel Hugo semble ne pas s'être soucié de se documenter autrement que par recours à une encyclopédie -l'Encyclopédie moderne de Rénier peut-être, qui se trouvait à Hauteville House-, ne vaut donc que comme argumentation a contrario pour clore le livre des Génies.